Marseille
-
Justice,
Société
Robin Cotta égorgé par son codétenu : ce que révèlent les premiers éléments d’enquête sur les dysfonctionnements des Baumettes6min
Par Joey Temple14/01/2025 à 08:00
En octobre dernier, Robin Cotta, 22 ans, est égorgé par son codétenu à la prison des Baumettes. Un rapport d’enquête précise les circonstances de ce drame et met en lumière les dysfonctionnements de l’organisation carcérale dans l’établissement marseillais. Maritima a eu accès au document.
“Il avait prévenu les surveillants que si on le laissait avec quelqu’un, il ferait une dinguerie”. Quelques jours avant la mort du jeune homme de 22 ans, un ancien codétenu d’A.M, son meurtrier, avait alerté sur sa dangerosité. Pourtant, le 9 octobre 2024, en début de soirée, Robin Cotta est violenté puis égorgé dans sa cellule par A.M avec un tesson de bol en porcelaine.
Comme Radio France, Maritima a pu se procurer les premiers éléments d’enquête de la division de la criminalité territoriale. Les dysfonctionnements structurels de la prison des Baumettes sont pointés du doigt.
Un danger latent
Le 4 octobre 2024, Robin Cotta et A.M sont placés ensemble dans la cellule 504 du “quartier arrivant” de la maison d’arrêt des Baumettes.
Avec un casier judiciaire vide jusqu’à présent, Robin Cotta va en prison pour la première fois le 22 septembre 2024. Le jeune homme de 22 ans est placé en détention provisoire après avoir été interpellé en possession de fausses ordonnances de sirop à la codéine pour la toux, élément nécessaire à la fabrication d’un cocktail euphorisant.
De l’autre côté, A.M, son nouveau codétenu, est lui connu de la justice. Déjà condamné à deux reprises, il vient d’écoper de six mois de prison ferme pour une affaire de stupéfiants. Depuis son arrivée aux Baumettes le 5 septembre, il a déjà eu trois codétenus différents lorsqu’il se retrouve aux côtés de Robin.
A.M avait déjà été caractérisé comme potentiellement dangereux. L’un de ses voisins de cellule, interrogé dans l’enquête, se souvient d’un échange qu’il avait eu avec le premier codétenu. “Il m’a dit qu’A.M avait fait comme s’il avait une machette à la main et qu’il découpait quelqu’un. Je l’ai entendu demander par la porte à aller en isolement, mais personne n’a rien fait. Il a été à l’infirmerie et il est remonté une demi-heure après. Il avait prévenu les surveillants que si on le laissait avec quelqu’un, il ferait une dinguerie”.
Trois lettres et des demandes répétées
L’enquête a révélé qu’à trois reprises, Robin Cotta a écrit pour demander à changer de cellule. Le 9 octobre au matin, il transmet sa dernière lettre où il formule son souhait d’être transféré dans la cellule d’en face.
Les demandes sont reçues, mais aucun rendez-vous avec la direction n’est organisé pour y répondre. Dans le rapport de l’administration pénitentiaire, on apprend que l’officier du quartier d’accueil et d’évaluation a expliqué à Robin qu’il ne pouvait pas être reçu le jour même, mais qu’il le serait le lendemain.
En plus des lettres, Robin va multiplier les demandes via l’interphone de la cellule qui lui permet d’être mis en relation avec les agents pénitentiaires. L’examen des relevés des appels effectués met en lumière un usage important de ce dispositif depuis la cellule 504 entre 16h43 et 19h00.
Des cris sont entendus à l’interphone, mais la personne en charge de les réceptionner estime que ce sont des cris semblables à ceux entendus continuellement et qu’ils ne correspondent pas à un cri au secours. De plus, la mauvaise qualité des échanges compliquerait l’interprétation des appels. Aucune intervention n’est déclenchée.
“Plus de place au cachot”
Sur les images de la vidéo surveillance, à 17h04, une feuille est glissée et agitée depuis l’intérieur de la cellule. Dans le couloir, un gardien regarde en direction de la feuille, mais ne semble pas s’y intéresser. Une heure plus tard, ce même gardien échange avec les deux détenus dans la cellule.
Selon les détenus voisins, au moment du repas, Robin va refuser de rester dans la cellule 504 et va demander à rejoindre l’isolement pour ne plus être avec A.M. “Il n’y a plus de place au cachot” rétorque l’agent. La porte est refermée à 18h53. A 19h10, le papier disparait en étant tiré de l’intérieur de la cellule. Quelques minutes plus tard, les détenus voisins, alertés par les bruits, appellent les surveillants qui découvrent le corps gisant de Robin aux côtés de A.M.
“Je n’ai même plus de peine, c’est de la haine”
La mère de Robin n’en revient pas. “Je suis en colère contre le système carcéral”. Confrontée à ces nouveaux éléments qui viennent éclairer les conditions dans lesquelles son fils est mort, Odile Cotta ne compte pas en rester là.
“Je n’en veux presque pas au tueur de mon fils, j’en veux à ceux qui ont laissé faire ça. Il a appelé au secours et on ne l’a jamais aidé”, se révolte-t-elle. “Ce n’est pas un assassinat, c’est une mise à mort.”
Les agents pénitentiaires dans le viseur
“Pourquoi vous avez laissé faire ? Il a hurlé, tout le monde a entendu. Je m’en fous de l’argent, je veux juste que justice soit faite.” Dans ce long combat pour faire la lumière sur ce dont a été victime son fils, elle a changé d’avocat pour un spécialiste des questions carcérales. “J’en veux vraiment à l’Etat, aux prisons, à la prison des Baumettes”.
Odile ne comprend pas comment tout ça a pu arriver. Depuis la mort de son fils, elle est allée visiter les Baumettes. “Il y a une goutte d’eau qui tombe, on entend à dix mille kilomètres. Il a été lâché”, accuse la femme endeuillée qui demande des comptes à l’ensemble de l’organisation carcérale, de la direction aux gardiens. “S’ils avaient été plus vigilants, s’ils avaient pris en compte ses appels aux secours, Robin serait peut-être encore à côté de moi.”
Contactée par Maritima, la secrétaire FO Justice aux Baumettes, Catherine Forzi considère “qu’il n’y a pas de défaillances au niveau des agents pénitentiaires puisque ce ne sont pas eux qui peuvent changer les détenus de cellules. Ils peuvent seulement signaler à la hiérarchie”, ce qui a été fait selon elle. “Il faut qu’il y ait des réponses, il faut qu’on sache la réalité, chacun assumera à son niveau”, ajoute-t-elle.
Sollicitée pour répondre à nos questions, la direction interrégionale des services pénitentiaires n’a pas encore répondu.
Dysfonctionnement structurel
“La surpopulation carcérale est une des raisons. C’est très compliqué pour nous de travailler dans ces conditions et c’est aussi très compliqué pour les détenus d’être à plusieurs par cellule”, admet la représentante syndicale.
Le meurtre de Robin est intervenu dans le “quartier arrivant”. Habituellement, ce secteur ne doit être un lieu d’accueil qu’entre "une semaine et dix jours”, explique Catherine Forzi. “Ce n’est pas normal qu’ils restent tant de temps, mais il y a tellement de surpopulation dans les autres bâtiments que c’est difficile aussi de les basculer”.
L’enquête policière a précisé qu’au 2 octobre 2024, le centre pénitentiaire des Baumettes affichait un taux d’occupation global de 193 %.
Numerus clausus comme seule solution ?
“La première des causes, c’est la surpopulation carcérale”, appuie également François Korber, le délégué général de Robin des Lois, association qui aide Odile Cotta dans son combat.
Pour lui, afin d’éviter les drames comme celui du meurtre de Robin Cotta, et plus largement pour lutter contre la surpopulation carcérale, il faut relancer la question du numerus clausus. “Ce n’est pas un gros mot, ça a parfaitement fonctionné pendant le Covid. On a décidé qu’on incarcérait plus ou moins. On a décidé qu’on libérait de façon un peu anticipée. C’est un mécanisme assez simple sans attendre la construction de prison”.
“L’hyperactivité du nouveau Garde des Sceaux serait amusante si elle ne contribuait pas, en fait, à pérenniser un système dégradant, humiliant et, souvent aussi, hélas, mortifère”, interpelle François Korber qui espère bien attirer l’attention de Gérald Darmanin sur le meurtre de Robin, symbole d’un système carcéral aux abois.
Photo transmise par la mère de Robin Cotta
A lire aussi
Aix-en-Provence
-
Justice
"SOS judiciaire" à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, noyée sous les dossiers
France
-
Justice
L'abbé Pierre visé par neuf nouvelles accusations de violences sexuelles
France
-
Justice
Le ministre des Transports Philippe Tabarot visé par une enquête pour détournement de fonds publics
Marseille
-
Justice
Amendes avec sursis pour avoir mangé une souris vivante lors d'une soirée étudiante à Marseille