Comme depuis un mois maintenant, le café est amer ce matin. Sur le quai du port Albert Samson, à Berre, Baptiste Giacomoni relate encore sa maigre pêche du jour à son collègue. Sans forcer, il extirpe de l'eau un petit filet où se débattent les quelques anguilles qu'il est parvenu à récupérer.

Le quarantenaire est à bout. Pendant vingt ans, il a accumulé du matériel, "l'investissement d'une vie", pour pêcher l'anguille. Impuissant, il récupère désormais chaque jour ses filets vides et parsemés de trous. Enfin pas tout à fait vide. Les anguilles se sont échappées, mais les responsables de cette fuite eux sont restés, en nombre, coincés dans les filets abîmés.

 

 

"C'est la fin"

 

De la taille d'une main, ces crabes aux pinces magnifiquement bleutées, font vivre un calvaire à Baptiste et ses collègues. Quand ils n'entreprennent pas de manger les prises, ils abîment les filets. Conséquence, sur la deuxième quinzaine de septembre, Baptiste n'a réalisé qu'un cinquième du chiffre d'affaires qu'il réalise les autres années sur cette même période. 

Les perspectives sont impossibles à entrevoir. "On est une corporation résiliente, On s'est adapté à tout. Mais je pense que ça, c'est la fin", lâche atterré le pêcheur de 45 ans. Constat tristement partagé chez celui qui connait l'étang comme sa poche. Franck Roman, quatrième génération de pêcheurs, est catégorique : c'est la plus grande crise que l'étang a connue. "On a toujours réussi à s'adapter avec l'arrivée des méduses, de certaines pollutions... Mais à ça, on ne peut pas s'adapter" 

 

 

Commercialisation impossible

 

Présents depuis longtemps dans l'étang de Berre, ces crabes originaires d'Amérique du Nord ont particulièrement colonisé les eaux cet été. Avec 2 à 3 millions d'œufs par femelle, ils représentent désormais une immense population. Chaque matin, les pêcheurs ramènent des caisses entières de crabes récupérés dans leurs filets.

Très vite imaginée, la commercialisation du crabe bleu n'est pas une option. Même si le crabe a très bon goût, les habitudes de consommation et le fonctionnement actuel du marché en Provence ne permettent aux pêcheurs d’envisager le crabe comme source de revenu principal.

 

Un peu de répit cet hiver ?

 

Dans leur cycle, "les crabes s'enfouissent lorsque la température de l'eau devient inférieure à 14 degrés", explique le directeur du Gipreb, Raphaël Grisel. Le syndicat mixte, garant de la biodiversité et de l'écosystème de l'étang de Berre, mène une opération pour tenter de comprendre et d'endiguer le crabe.

Problème, les pêcheurs craignent que l'hiver ne soit pas assez froid pour remplir ces conditions. "On était en t-shirt sur le bateau en décembre l'an dernier", se souvient l'un d'eux. Il va donc falloir des solutions à court terme pour sauver les pécheurs aux filets vides. Ils rencontrent cet après-midi, mercredi 2 octobre, des représentants de la région. Si ce rendez-vous venait à ne pas être concluant, les pêcheurs envisagent de faire parler du problème de manière plus forte.

Ils craignent de devoir attendre que les crabes viennent pincer les nageurs sur les plages de l'étang de Berre l'été prochain pour que le problème soit véritablement entendu.