Interview de Géraud Létang, chercheur et Coordinateur scientifique de la Mission des 80 ans de la Libération. Par Laurence Durandau, journaliste pour Maritima.

LD: Quel est le rôle joué par les soldats africains dans le débarquement en Provence ? 

GL:Ils sont l’essentiel de l’effectif côté français et même côté alliés. Ce débarquement de Provence, à la différence de celui de Normandie, est marqué par une très forte présence française. Ces troupes viennent de l’empire colonial, là où s’est reconstruit une France combattante qui refusait la défaite de 1940. Il est logique que cette armée française, qui arrive sous les ordres du général de Lattre de Tassigny sur les côtes provençales, ait cette dimension coloniale et surtout africaine. 

LD: Comment expliquer l'invisibilisation de ces soldats africains ?

GL: Au moment des combats, cette invisibilisation n’existe pas. Quand on regarde les témoignages des contemporains, notamment dans les deux grandes villes pour lesquelles on débarque en Provence (Marseille et Toulon) le fait de voir des soldats venus d’Afrique du Nord et d’Afrique Subsaharienne est quelque chose qui marque (...) Peu à peu, cette dimension invisible va venir au fur et à mesure des années parce que la France a de vrais problèmes dans l’après-guerre avec les conflits de décolonisation en Indochine puis en Algérie.  Par conséquent, le fait que la souveraineté française ait été reconstruite depuis l’empire colonial devient une mémoire problématique.

LD: La présidence française a organisé ce 15 août une cérémonie internationale à la Nécropole de Boulouris, près de Saint-Raphaël. Plus de 460 soldats tués sous l’uniforme français y reposent. Quelle est l'importance de ce devoir de mémoire et de cette transmission selon vous ? 

GL: La transmission fait effectivement partie des thématiques de cette année. Quel que soit l’uniforme ou la couleur de peau des soldats qui ont été mis à l’honneur et qui ont combattu dans les armées alliées ou dans la résistance. Il est certain que ces pays africains font aussi partie de ce travail de transmission quand bien même l’histoire ou la géopolitique actuelle puissent susciter des débats, des questions, des conflits… Et il y a aussi une dimension de mémoire mondiale, car il s’agit aussi de commémorer une guerre mondiale.

LD: Il y a une ombre au tableau, avec ce 1er decembre 1944. Les forces françaises ont tué des tirailleurs africains qui réclamaient leurs arriérés de solde. Que fait-on de cet épisode ?

GD: Il faut faire attention et ne pas mettre tous les tirailleurs dans un même sac. Les victimes de ce massacre sont des tirailleurs qui étaient prisonniers depuis 1940. Ils ont été laissés dans les camps en métropole, car le Reich nazi pensait que les soldats africains allaient souiller son sol. Ce ne sont pas des troupes qui ont débarqué en Provence. Il est certain qu’il faut aborder ces questions sans tabou et avec toute la rigueur possible et aussi les transmettre. Le pire dans des commémorations comme celles-ci serait de célébrer, et de dire qu’il n’y a rien à réfléchir, à discuter. Si on veut transmettre une mémoire apaisée de ces événements aux jeunes générations, il faut transmettre une mémoire la plus proche possible de la vérité historique et avec la conscience que cette mémoire leur appartiendra avec ses dimensions fédératrices mais aussi avec ses débats.